L'éditeur Bernard Grasset a-t-il été un collabo ?
C'est en consultant la liste des collabos au régime pétainiste de Vichy qu'un nom nous est apparu que nous ne nous attendions pas à trouver dans une telle liste, celui de l'éditeur Bernard GRASSET ! Un homme qui décédera en 1955 dans l’opprobre et la solitude, condamné effectivement pour collaboration à la Libération ! On a pourtant du mal à croire que l’homme qui avait révélé PROUST, RADIGUET, MAUROIS et MONTHERLAND voire MAURIAC ait pu être cet être tourmenté, abonné aux cures d’hydrothérapie et aux maisons de santé qui mourra donc en piteuse santé. Sans qu'il ait pu réussir à être lavé de tout soupçon de collaborationnite aiguë, même deux ans après avoir été amnistié par un tribunal militaire. Alors que depuis la création de sa maison en 1907, GRASSET était incontournable et que le New York Times l'avait surnommé « le plus grand des éditeurs ». Avec Gaston GALLIMARD les deux hommes s'étaient même partagé les prix les plus prestigieux et les meilleurs auteurs.
Mais qu'était-il donc allé faire dans cette galère Bernard GRASSET qui, depuis la création de sa maison en 1907, était incontournable ? Publier sous la botte allemande ou mettre la clé sous la porte. C’était l’alternative qui s'était présentée aux éditeurs français en juin 1940 et pour faire des livres, il fallait du papier. Or, seuls les Allemands étaient alors habilités à en fournir. Certaines maisons d’édition seront même condamnées d’avance, comme Calmann-Lévy et Ferenczi, qualifiées de juives par les nazis et donc « aryanisées ». Il fallait entrer en résistance et la majorité des éditeurs choisiront d'adopter une politique opportuniste, en faisant des concessions à l’occupant. GRASSET se distinguera de son côté par son zèle. Ce que n'oublieront pas des éditeurs qui, en septembre 1944, excluront de leurs rangs Bernard GRASSET, Fernand SORLOT, Gilbert BAUDINIERE et trois hommes (Jacques BERNARD, Jean de La HIRE et Henry JAMET) qui avaient profité de leurs liens avec les Allemands pour prendre la tête du Mercure de France, de Ferenczi et de Calmann-Lévy.
Alors qu'il approchait de la soixantaine, Bernard GRASSET était pourtant dans le viseur de la police allemande après avoir publié trois livres antihitlériens parmi lesquels, Hitler et moi d’Otto STRASSER, l’ennemi intime du « Führer », qui était activement recherché par la Gestapo. Il écrira donc trois lettres à des sommités nazies et proposera d’organiser la relance de l’édition française en développant l’idée d’une « armistice de l’esprit » qui est une acceptation franche de la censure de l’occupant. Il choisira ainsi de publier les œuvres de cinq auteurs en vue auprès des nazis, dont celle de Pierre DRIEU de LA ROCHELLE, un fasciste assumé. Ce qu'on ne manquera pas de lui reprocher lors de son procès en 1948. Mais durant l'occupation Gaston GALLIMARD n’avait-il pas nommé DRIEU la ROCHELLE à la tête de la NRF pour complaire aux nazis ? À la barre de la chambre civile de la Seine, il implorera les jurés de ne pas lui retirer son entreprise. « Cette maison est l’œuvre de ma vie, dira-t-il, je vous supplie de me la rendre entière ». L’éditeur avait perdu sa superbe, sa mèche brune avait blanchi et il avait le teint jaune des grands fumeurs avec un corps secoué de tics. Le 20 mai 1948, Bernard GRASSET sera condamné à l’indignité nationale à vie, sa maison sera dissoute, ses biens confisqués. Il fallait à l'époque laver l’affront de la collaboration et l’heure était à la grande purification. La secrétaire de Bernard GRASSET, juive, viendra témoigner à son procès. « Quand je fus arrêtée avec ma famille, il a fait l’impossible pour me sauver et il s’occupa aussitôt de mon fils en bas âge comme de mon jeune frère ». Mais ce témoignage ne sera pas pris en considération.
L’éditeur sera finalement amnistié par un tribunal militaire cinq ans plus tard où seront mis en avant ses « services rendus à la littérature ». La Maison GRASSET échappera plusieurs fois à la banqueroute, la plupart des grands auteurs ayant fui après le procès de 1948. GRASSET devra néanmoins fusionner en 1967 avec la maison FASQUELLE dirigée par Jean-Claude FASQUELLE, les éditions GRASSET devenant GRASSET & FASQUELLE. C'est une petite nièce Marie LIANG qui s'est jetée dans la bataille pour réparer l'honneur de son grand oncle. Elle pense écrire un livre : une grande enquête qui, promet-elle, réhabilitera Bernard GRASSET, cet oncle condamné à la « dégradation nationale » par les tribunaux de la Libération.
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