Hélie de Saint-Marc, un homme d'honneur...
Né le 11 février 1922, Hélie de SAINT-MARC est probablement un homme qui aura tout connu. Des geôles nazies de Buchenwald puis Langenstein-Zwieberge à une reconnaissance tardive de son mérite de militaire. Mais plus qu'un héros ordinaire, il aura surtout été un passeur d'étincelle. L'ancien officier, honoré dernièrement par le maire de Béziers Robert MENARD, était même devenu une référence morale et historique au moment de sa disparition en 2013 et bien plus qu'un écrivain à succès. Alors qu'il avait participé en avril 1961 à un putsch en Algérie après avoir eu le sentiment que le pouvoir gaulliste l'avait trompé ! Quel destin que celui de ce soldat devenu successivement l'homme de l'humiliation face à l'occupation nazie, puis celui de l'engagement avant de devenir à près de quarante ans celui de la proscription pour avoir dénoncé la politique algérienne de son président avant d'être finalement réhabilité. Il se devait de dire au terme d'une carrière de combattant bien remplie pourquoi il avait pris certaines positions, au risque de devoir répondre de sanctions que l'on finira par lever progressivement puisque, déchu de ses décorations et droits civiques en avril 1961, il sera ensuite réhabilité.
Longtemps Hélie de SAINT-MARC restera silencieux, muré dans ses souffrances, acceptant son manteau de paria, jusqu'à ce que l'amitié quasi paternelle portée à son neveu, l'éditeur Laurent BECCARIA, le pousse à accepter de témoigner et à livrer dans plusieurs ouvrages ce qu'avaient été ses engagements. Sorti de prison à Noël 1966 après avoir été gracié par le général de GAULLE, et alors qu'il vivait paisiblement à Lyon après une reconversion opérée à l'âge de 44 ans, il était alors devenu en quelques livres l'icône d'un pays en mal de références. Déjà dirions nous alors que nous étions encore loin de vivre un saccage comme celui dont nous souffrons actuellement. Les Champs de braises, l'un de ses premiers ouvrages sera couronné en 1996 par le prix Femina essai et lui vaudra de bénéficier d'échanges que son statut de paria n'aurait pas permis. Les engagements qu'il évoque dans ses ouvrages, il y en a eu quelques-uns. De la Résistance à l'Indochine pour s'achever en Algérie, une Algérie brûlante du sang de ceux qui avaient cru pouvoir conserver à la France ce département algérois qui n'aspirait qu'à son indépendance.
Hélie de SAINT-MARC n'a que 18 ans en 1940 lorsque la défaite française le pousse à s'engager dans la Résistance. Il n'avait pas été un élève brillant à l'école mais élevé au sein d'un milieu catholique issu de la petite noblesse du Sud-Ouest où l'on avait un certain sens des valeurs, il a vu tout cela comme une obligation et la possibilité de donner une suite à son goût pour l'aventure. Il recherchera ensuite dans la mouvance militaire la fraternité qu'il avait connue dans cette Résistance puis à Buchenwald avec ce Letton à qui il devait d'être encore en vie. A l'hôpital américain de Magdebourg en mai 1945, il ne faisait plus que 35 kg et il ne savait même plus qui il était ! En 1946, après avoir été déporté par les nazis et retrouvé la santé, il choisira de donner une suite à ses envies et à son combat de résistant. L'école militaire de Saint-Cyr en fera un officier et le poussera à intégrer la Légion Etrangère. Il venait de débarquer d’une France rationnée, frigorifiée, privée de tout, corsetée par la CGT et le Parti communiste, verrouillée par une administration tatillonne. Comme ses camarades, l’officier s’était d'abord engagé totalement en Indochine au service des populations placées sous sa protection. On a dit qu'il s'était pris d'amour pour ce peuple mélancolique et réservé, romantique et cruel. C'est indéniablement cette mission qui lui a donné des raisons intenses de servir, de vivre, voire d'y mourir car, en partant, il vivra un véritable déchirement pour avoir dû abandonner ceux auxquels il avait promis tant de choses. L’« Indo » nourrira son formidable humanisme et on a dit qu'elle aura été la matrice de sa rébellion en Algérie. « Pour bien commander des hommes, il faut les aimer !... se justifiera t-il en partant à la tête de son régiment de légionnaires. Le choc que j’ai ressenti en découvrant, en quelques jours, le delta du Mékong fut à la hauteur de ce mal-être. Nous avions jeté l’ancre dans les eaux vertes de la baie d’Along. J’étais accroché à la rambarde, sur le pont, ébloui par tant de beauté. Des écailles quittèrent mes yeux. Deux ans après avoir attendu la mort dans une baraque de planches envahie par la vermine en Allemagne, j’étais projeté dans un monde féerique. Si l’on m’avait proposé de rester au Vietnam jusqu’à la fin de mes jours, j’aurais répondu oui », avouera t-il au soir de sa vie.
Mais, comment un homme comme Hélie de SAINT-MARC qui avait jusqu'alors tout donné pour défendre son pays est-il soudain devenu un rebelle au printemps de cette année 1961 ? C'est même assez curieux car si l'homme était de droite, il n'était pourtant pas classé dans les réactionnaires ! Il répondra qu'après avoir oeuvré pour faire régner l'ordre dans cette Algérie où il fallait parfois répondre aux bombes par la torture, ce qu'il réprouvait, il n'avait pas saisi pour quelle raison le Chef de l'Etat français avait soudain choisi de renoncer à cette Algérie française, revenant sur son engagement de 1958. Une Algérie encore française où se déroulaient à la fois une guerre d'amour et une guerre de haine. Le commandant SAINT-MARC a évoqué son ralliement aux putschistes : « Je ne renie pas ce choix douloureux d'avril 1961. Le mensonge est un poison mortel. J'ai accepté de tout perdre et j'ai tout perdu » lâchera t-il sans s'étendre davantage. Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvraient les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : l’Armée nous protégera, l’armée restera. Nous pensions à notre honneur perdu ». En avril 1961, alors qu'il était à la tête du 1er régiment étranger de parachutistes (REP), cet officier de la Légion participera en effet à un putsch des généraux SALAN, CHALLE, ZELLER et JOUHAUD qui souhaitaient conserver une Algérie française. Aussitôt arrêté, son régiment dissous, le commandant Hélie de SAINT-MARC sera condamné à dix ans de réclusion criminelle et emprisonné, ce qui lui évitera néanmoins d'avoir à participer aux actions terroristes de l'OAS que SALAN avait cru devoir imposer pour protester contre le changement de cap présidentiel. Ce qu'il aurait eu du mal à supporter lui dont la dose d'humanité était telle qu'il avait déjà eu du mal à admettre la torture. D'ailleurs à propos de torture, il reviendra sur les justificatifs d'AUSSARESSES qui avaient un temps fait grand bruit. « Aussaresses a toujours été un marginal et un mégalo. Mais il y a des choses qu'il ne fallait pas dire. Sur le fond, il n'existe pas de guerre propre. La guerre est toujours une tragédie, mais une tragédie fascinante, parce que c'est la grande heure de vérité. L'homme y apparaît tout nu : le courage, la peur, la lâcheté. La guerre est bien sûr un mal pour ceux qui la subissent, mais également pour ceux qui la font ». Mais après son arrestation et son procès de juin 1961, il aura le sentiment de se retrouver seul face à un destin fracassé.
En novembre 2011, après une carrière littéraire bien remplie, Hélie de SAINT-MARC sera fait grand-croix de la Légion d'honneur par le président de la République. Dans la cour des Invalides, par une matinée glaciale de fin d'automne, le vieil homme déjà malade recevra debout cette récompense des mains de Nicolas SARKOZY et d'une voix éteinte il regrettera presque ce qu'on lui avait imposé ce matin-là : « La Légion d'honneur, on me l'a donnée, on me l'a reprise, on me l'a rendue… ». C'est semble-t-il la personnalité de l'homme qui a entraîné le processus de réhabilitation ordonné par le Président GISCARD d'ESTAING dans les années soixante-dix. Et aussi, qu'on le veuille ou non, la disparition du général de GAULLE qui n'aurait sûrement pas admis que l'on revienne sur une condamnation qui avait privé de SAINT-MARC de ses droits civiques et de ses distinctions ! Pour certains gaullistes, Hélie de SAINT-MARC sentait encore le soufre quarante ans plus tard et depuis ce mois d'avril 1961 qui l'avait vu rejoindre le camp de quatre généraux putschistes.
Conscient qu'on lui demandait soudain de trahir des populations auxquelles il avait promis assistance, CHALLE avait choisi. Hélie de SAINT-MARC allait-il être de ceux qui seraient avec lui ? La réponse du commandant SAINT-MARC ne se fera pas attendre lui qui était pénétré du sentiment que l'on ne pouvait mentir à un soldat ! Estimait-il par ailleurs que l'Algérie une fois indépendante serait en danger et qu'il importait de continuer à la protéger ? Les propos de Marion MARECHAL, la petite-fille de Jean-Marie LE PEN qui avait d'ailleurs servi sous les ordres de Hélie de SAINT-MARC, propos tenus sur la gestion de la crise algérienne n'ont pas manqué d'interpeller à cet égard pas mal de monde depuis et pour cause ! D'autant qu'ils justifient les choix de Charles de GAULLE quant à son renoncement de faire de l'Algérie une Algérie Française et qu'elle concède que le Général avait vu, avant les partisans de l’Algérie française, ce qu’il adviendrait si l’Algérie restait un département français. Rappelons-nous de ce qu'avait dit le général : « Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre, avait-il dit un jour. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisons l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » Et d’ajouter : « Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq, puis par dix, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l'Elysée ? Une prédiction sur laquelle on ne peut que méditer aujourd'hui face à un phénomène qui est en train de nous dépasser !
Mais, quel que soit l'avis que l'on peut émettre à propos des courbes migratoires, ce qui est néanmoins certain, c'est qu'Hélie de SAIN-MARC était effectivement un homme d'honneur !
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