24 juin 1991-2024... Omar Raddad, ou 33 ans d'innocence bafouée
Il aura fallu attendre que le Président Jacques CHIRAC le gracie pour qu'Omar RADDAD recouvre la liberté trois ans plus tard ! Une libération due à une intervention majeure, celle du roi du Maroc Hassan II à l'issue d'une négociation entreprise dès 1995 et l'arrivée à l'Elysée de son ami CHIRAC. Le jardinier marocain qui entretenait le jardin d'une riche veuve de 65 ans sera trahi par des lettres écrites avec le sang de Ghislaine MARCHAL et ce Omar m'a tuer fera longtemps jaser, l'affaire prenant même une envergure internationale. D'autant que cette adepte des mots croisés qu'était la vieille femme ne pouvait selon les enquêteurs avoir laissé une telle faute d'orthographe en ayant essayé de compromettre son jardinier. Il sera cependant prouvé après coup que Madame MARCHAL était fâchée avec les infinitifs et donc... Or, on sait depuis, grâce à des expertises et des contre-expertises, que le jardinier marocain n'a pu être l'auteur de ce meurtre grâce à d'autres ADN que le sien et grâce aussi à une datation qui aurait dû poser problème car on était resté les premières semaines sur des données erronées ! Ce qui est certain aussi c'est que le meurtre n'est pas celui qui aurait été commis par un rôdeur, rien n'ayant été volé en dehors, peut-être, je dis bien peut-être, d'une somme de trois à quatre mille francs.
Mais qu'en est-il des faits ? Le lundi 24 juin 1991 au soir, dans la chaufferie de La Chamade, une luxueuse villa de Mougins sera retrouvé le corps d'une dame fortunée Ghislaine MARCHAL. Elle aurait succombé après une longue agonie et après avoir été sauvagement poignardée. Ne la voyant pas arriver au rendez-vous que l'une de ses amies lui avait proposé pour un déjeuner, celle-ci s'était inquiétée. Avant que des proches voisins, eux aussi, s'étonnent de son absence au cours de la soirée du lundi et qu'ils pressent les gendarmes d'enquêter sur cette disparition. En février 1992, après une première reconstitution des faits qui n'avait rien laissé percevoir d'autre et en l'absence d'autres indices, les enquêteurs auront à expliquer comment celle qui, au départ, était censée avoir écrit "Omar m'a tuer" avait pu se barricader dans une cave où il était devenu impossible d'accéder de l'extérieur puisque la porte avait été fermée de l'intérieur et qu'on avait jeté contre la porte afin d'en interdire l'accès un lit pliant d'une douzaine de kilos et une barre de fer. Ce que les avocats d'Omar RADDAD infirmeront en démontrant que la chose était possible. Mais on se demande d'ailleurs toujours comment la victime a pu trouver l'énergie pour se barricader ainsi, blessée à mort comme elle l'avait été, en traînant un lit pliant de 12 kg pour l'installer contre la porte d'entrée de la cave même s'il se trouvait à proximité, et mieux encore pour avoir pu écrire à deux reprises ce "Omar m'a tuer" avec des mots écrits alignés comme ils l'avaient été, du moins pour le premier de ces deux messages. En admettant que ce soit elle qui ait été à l'origine de ces deux inscriptions ou de l'une des deux inscriptions, ce qui ne sera pas confirmé par l'ensemble des experts. Un traumatologue approché durant l'enquête dira même qu'il lui aurait été impossible dans l'état où elle était de lever le bras pour les écrire... Et si avec cet Omar l'assassin avait voulu impliquer le jardinier dont il savait qu'il faisait partie des proches de Madame MARCHAL, il aurait dû prendre le soin d'être attentif à l'écriture des messages. Ce qui laisse supposer que l'auteur ait pu être quelqu'un qui n'avait pas réfléchi à tous les aspects de la calligraphie, même s'il avait pris soin de faire figurer sur la deuxième porte un second message déclinant laissant supposer qu'il était de la main même d'une personne agonisante ! Autre constat et il infirme là encore tout le reste, si Ghislaine MARCHAL avait été l'auteure de ces deux inscriptions, on aurait retrouvé des traces de sang sous ses ongles et sous ses doigts lors de la seule autopsie réalisée avant la crémation du corps ! Or, on a rien trouvé sinon des traces de terre ! C'est donc quelqu'un d'autre que la victime qui les aurait écrits. L'un des deux premiers avocats d'Omar RADDAD avoue du reste aujourd'hui ne pas avoir été attentif à ce constat qui aurait pu inciter les tribunaux à une toute autre analyse des faits !
Pour Jacques VERGES qui avait repris le dossier fin 1993 derrière les deux premiers avocats, ce dossier sentait mauvais et c'était comme si on avait voulu protéger un secret. Mais quel secret au juste ? Selon toute vraisemblance quelque chose qui aurait été lié à un processus de legs successoral puisque, curieusement, le corps de la défunte sera rendu à la famille avant que le juge ait pu prendre connaissance du rapport d'autopsie et incinéré rapidement alors que Ghislaine MARCHAL disposait bizarrement d'un caveau funéraire où elle avait prévu d'être ensevelie après son décès. Ce qui est donc difficile à expliquer. Pourquoi ne s'est-on pas intéressé au légataire de la veuve assassinée et est-ce que les héritiers de la vieille dame ont tous été entendus ? Non, jamais, s'étonnera Jacques VERGES ! Peut-être aussi parce que les gendarmes de la Section de Recherches de Cannes avaient bâti dès le départ un scénario et qu'ils n'ont jamais voulu ensuite en changer, convaincus que le Marocain avait tué et volé la vieille dame pour se procurer de l'argent afin de pouvoir jouer au casino ou aborder une prostituée avec laquelle il aurait eu une relation, ce qui ne sera pas démontré. Les enquêteurs se persuaderont qu'Omar en voyait régulièrement. Selon eux, il était venu ce dimanche demander une nouvelle avance sur salaire à sa patronne et elle avait refusé. Pour obtenir le plus rapidement possible des aveux, ils le laisseront même deux jours de suite en garde à vue sans qu'il puisse dormir et, jouant sur l'incompréhension manifeste d'un homme illettré qui avait du mal à comprendre, ils lui refuseront l'assistance d'un interprète. Ce que les gendarmes refuseront de confirmer. Une attitude difficile à expliquer sur laquelle le gendarme responsable cannois, le capitaine Georges CENCI (photo ci-dessus), parlant même de duplicité d'Omar RADDAD, n'a jamais voulu revenir, refusant souvent de se justifier. Il dira qu'ils avaient pu saisir douze pages de procès-verbaux et que cette histoire d'incompréhension et d'illettrisme ne tient donc pas. Mais cela sans expliquer non plus la raison pour laquelle ce capitaine de gendarmerie avait fait détruire le 9 août 1991 d'autres éléments qui auraient pu être importants comme les photos et le film que contenait un appareil de photo de la veuve assassinée retrouvé dans la villa.
Pire encore, alors que le meurtre étant censé avoir été commis le lundi 24 juin, une journée où Omar RADDAD se trouvait à Toulon, il sera demandé aux légistes au mois de novembre, cinq mois plus tard, à la réception du rapport d'autopsie de modifier la date du meurtre de 24 en dimanche 23 juin. Comme si, chez les enquêteurs, on avait voulu faire coller davantage encore les faits à une présence dans les environs du jardinier marocain. Or, pour les experts, un mort a les yeux qui se voilent huit à dix heures après les faits et ceux de Madame MARCHAL ne l'étaient pas encore le lundi soir quand on a retrouvé le corps, ce qui confirme bien que le meurtre ait pu avoir lieu en début d'après-midi ce lundi 24 juin et non le dimanche 23. Pour Jacques VERGES, cet "Omar m'a tuer" n'est d'ailleurs pas une accusation mais une manipulation savamment agencée ! Car tout accrédite aujourd'hui au plan scientifique la date du 24 et non celle du 23 et donc le fait que les gendarmes se soient livrés, avec ce changement de datation, à un bricolage répréhensible destiné à éviter toute contestation et à "mouiller" le jardinier. Effectivement, le 23, Omar travaillait chez une voisine de Madame MARCHAL, une certaine Madame PASCAL qui n'a d'ailleurs jamais cru à la culpabilité d'Omar. Les gendarmes cannois qui s'appuyaient sur des éléments déjà tronqués au départ donneront le sentiment de fabriquer des faits, refusant également d'entendre les deux boulangers dont le magasin était situé sur le trajet emprunté par le jardinier le dimanche 23 qui dira s'être arrêté pour acheter une demi baguette. Et si l'un des deux dira tout d'abord ne pas se souvenir d'Omar, on ne saura jamais quelle aurait pu être la version du deuxième qui ne sera jamais entendu. Mais, pour le capitaine CENCI, les gendarmes se seraient rendus à la seule boulangerie désignée par l'accusé lui-même. Avant néanmoins qu'on parvienne à faire dire à celui que l'on avait interrogé qu'il n'avait pas vu d'Omar RADDAD et surtout en acceptant qu'il change de version d'un interrogatoire à l'autre. Ce qui est d'une étrangeté... Quant aux vêtements de l'intéressé c'est tout aussi rocambolesque puisqu'on se demande comment Omar aurait pu aussi vite en changer après avoir tué la veuve MARCHAL, d'autant que du sang avait giclé et qu'on en retrouvera même au plafond des lieux. Une version que l'on ne prendra pas en compte. Au plan des incohérences, bien d'autres éléments auraient pu être creusés par les enquêteurs qui ne l'ont pas été, comme la présence à 15h30 le dimanche 23 du crime de cette camionnette dont parlera une femme témoin, ni de cet appel anonyme au téléphone que Francine PASCAL recevra le dimanche au soir qui mettait déjà en cause le jardinier alors que rien n'avait été encore découvert. Encore moins le mensonge de Liliane RECEVAUX, la femme de ménage de la veuve, qui laissera entendre à son concubin qu'elle avait travaillé chez sa patronne les dimanche 23 et lundi 24 juin. Une femme de ménage qui reste pour moi une possible autre suspecte à cause de la multiplicité de ses mensonges et pour avoir tout organisé à défaut d'en être l'auteure. Elle dira d'ailleurs aux enquêteurs que Madame MARCHAL lui avait donné son dimanche et son lundi comme si elle avait eu à entreprendre un voyage ! Un voyage dont on ne trouvera pas la moindre preuve et pour cause !
Après une instruction menée à charge et émaillée par énormément de négligences voire de tripatouillages, c'est donc sans surprise un verdict de condamnation à 18 ans de prison qui sanctionnera l'affaire en 1994. Et cela sans que l'on n'ait durant des années retrouvé l'arme du crime ! Avec un coupable idéal, alors qu'une majorité de gens du jury s'était prononcés pour un acquittement avant d'être tancés par un président des Assises qui avait donné le sentiment d'être, lui aussi, attaché dès le départ à la perte du jardinier. Il faut dire que tout avait été soigneusement préparé et que le président du tribunal avait été jusqu'à faire transporter dans la salle d'audience les deux portes de la cave pour que tout le monde puisse voir les deux portes et leurs inscriptions en lettres de sang ! A l'annonce du verdict, Jacques VERGES (ci-contre) aura des mots forts reliant l'affaire RADDAD à celle de ce capitaine DREYFUS qui avait été condamné cent ans auparavant parce qu'il avait le tort d'être juif alors qu'aujourd'hui Omar RADDAD n'avait qu'un tort, celui d'être un Maghrébin ! Gracié et libéré, un autre témoignage tardif se fera entendre : celui de Mimoun BARKANI, l'ancien majordome de Ghislaine MARCHAL qui, deux mois avant qu'elle soit assassinée l'entendra dire qu'elle était inquiète parce que l'un de ses proches lui faisait peur. Enfin entendu par les enquêteurs en 1996 après le jugement (et pourquoi après), il sera néanmoins écarté, car ce majordome étant l'oncle d'Omar. Enfin deux autres pistes ne donneront rien, l'une concernant un autre Omar de nationalité yougoslave, et l'autre l'OTS (Ordre du Temple Solaire) qui aurait pu être à l'origine du meurtre parce que la riche veuve qui subventionnait l'ordre aurait exprimé comme quelques autres le souhait de cesser ses donations.
En dehors d'une loi qui permettra désormais aux accusés condamnés de faire appel, la conclusion sera facile à en tirer en 1994 et gravissime : la justice française du faux pays des Droits de l'homme qu'est devenu notre pays tout au long des dernières années s'était une fois de plus distinguée en livrant à l'opinion après des procès comme ceux de Patrick DILS, ou Dany LEPRINCE, et cela entre traficotage et désinvolture, un bien mauvais coupable que ce pauvre Omar RADDAD. Probablement à cause de l'ingérence de gens qui seraient intervenus dans les débats désireux qu'on n'aborde pas d'autres éléments et sans pour autant qu'on en connaisse les raisons ! Pas plus qu'on ne saura pourquoi l'incinération du corps de Madame MARCHAL a pu intervenir aussi rapidement privant une vraie Justice de pouvoir ordonner une nouvelle autopsie après coup et de vérifier que les ongles et les mains de la vieille dame n'avaient pas trempé dans du sang. Quitte à déplacer les faits de 24 heures et à les dater au 23 juin. De son vivant, Maître Jacques VERGES était persuadé que la personne qui avait tué Madame MARCHAL était une personne proche d'elle et très habile, une personne qui avait intérêt à sa mort et qui connaissait l'existence d'Omar et que c'était pour protéger cette personne qu'on avait condamné le petit jardinier !
Première étape vers une éventuelle révision du procès, vingt-sept ans après la condamnation d’Omar RADDAD (ci-contre), la justice avait enfin décidé, jeudi 16 décembre 2021, de rouvrir le dossier. La commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen ont effectivement ordonné un complément d’information avant de se prononcer sur la recevabilité de la requête déposée par le jardinier marocain. « Cette décision est un pas vers la révision », a déclaré à la presse la nouvelle avocate d’Omar RADDAD, Sylvie NOACHOVITCH. « La bataille n’est pas terminée, a-t-elle ajouté. Pour Omar RADDAD c’est un vrai espoir, plus de trente ans après le meurtre ». Comme jadis Maître VERGES, la nouvelle défense pense que le "Omar m'a tuer" n’aurait pas été écrit par une femme agonisante mais par quelqu'un d'autre, potentiellement le ou la meurtrier(e), cherchant à désigner un bouc émissaire. Sylvie NOACHOVITCH explique avoir présenté à la justice les conclusions d'un rapport d'expertise, qui a de nouveau analysé une découverte datant de 2015. Plusieurs prélèvements sur des scellés ont effectivement fait émerger des traces d'ADN exploitables ne correspondant pas au profil génétique d'Omar RADDAD. Quatre empreintes génétiques correspondant à quatre hommes différents ont été retrouvées sur deux portes et un chevron de la scène du crime. Deux d'entre elles étaient parfaitement exploitables, les deux autres partiellement. Les traces d'ADN découvertes et une nouvelle législation facilitant les requêtes permettront-elles enfin une révision du procès ? D'autant que sur la porte du "Omar m'a tuer" un ADN est ressorti à trente-cinq reprises. On n'en n'est donc plus à deux voire quatre ADN différents ! Il reste maintenant à le souhaiter et à tout mettre en oeuvre pour convaincre afin que ce jardinier marocain soit réhabilité, et cela après un premier combat qu'avait entrepris de livrer un temps l'académicien Jean-Marie ROUART avec un livre comme jadis l'autre écrivain Gilles PERRAULT l'avait fait pour Christian RANUCCI !
Louis PETRIAC
Commentaires
Enregistrer un commentaire